on the other side. / ARTHUR

Je n'ai aucune envie de la ramener. Absolument aucune. Sentir ses petits bras s'accrocher à moi, ses mains qui me serrent, la chaleur de son corps dans mon dos... Non, je n'ai pas envie que ça s'arrête. Et puis, entre nous, sa voiture ne va pas s'envoler que je sache, non ? La station essence va rester ouverte toute la nuit. Et si ce qu'elle avait à faire ici était si important, elle aurait insisté pour que je fasse vite... Or, elle ne l'a pas fait. Me voilà en possession de trois bonnes raisons pour convaincre ma conscience et me déculpabiliser de prolonger ce tour en moto. Une idée me traverse alors l'esprit... Je continue ma route, et cette fois-ci, ne prend pas le chemin inverse pour retourner à la station service. Je ne fais que très rarement ce dont je n'ai pas envie, c'est à savoir. Et là, je n'ai pas envie de la ramener, donc je ne le ferai pas. Perdue dans ses pensées, dans le moment, je ne sais même pas si elle se rend compte que la direction a changé et que nous roulons depuis dix minutes. Elle n'a vraiment pas l'air mal, derrière moi. Avec moi. Et moi, je suis carrément bien.

Mais le moteur finit par se couper, le vent s'arrête de nous souffler dans les voiles. Je pose un pied au sol, admirant le paysage qui s'offre à moi. Paysage qui n'a surement rien de fou, de magique, ou d'extraordinaire pour une bourge du Northside, mais pour moi, si. C'est magique. Et je veux lui montrer, ce soir, ce qui est magique pour un gamin du Southside. " Bevin Hawkins, voici le Twilight Drive'in. Twilight Drive'in, voici Bevin Hawkins, une fille à papa que j'ai kidnappé pour la soirée. " Je finis mon petit jeu d'acteur en regardant la demoiselle, un sourire sur le coin des lèvres. Elle m'adoucit, cette fille. Elle me calme, me rend sociable, agréable. Elle a un effet dont très peu peuvent se vanter sur moi... Et ça me fait un peu peur, dans le fond. " L'essence s'envolera pas, non ? " Autrement dit : alors, t'acceptes de passer quelques minutes, voire heures de plus avec moi, ici, avant de rentrer ? Mais c'est trop facile, ou plutôt trop dur de lui demander directement.

Le temps de cette balade, j'oublie totalement la notion du temps. Je ne sais pas depuis combien de temps nous roulons et c'est vraiment le dernier de mes soucis. J'en oublie même mes raisons de ma venue dans le Southside, enfin oublier. Disons que je les mets de côtés pour le moment. Je profite pleinement de ce moment. Simplement. Les maisons et les lumières qui défilent sous mes yeux, je me surprends à me sentir bien là, avec lui. Jusqu'à ce que le moteur s'arrête, je sors de mes pensées les plus profondes et je réalise que nous ne sommes pas du tout là où nous devrions être.

Le Twilight Drive'in, j'en ai plusieurs fois entendu parler mais, je n'y ai jamais mis les pieds avant ce soir mais, je suis toujours prête à découvrir des lieux. Je me mets à rire à sa façon de faire, à sa façon de me présenter cet endroit. Un endroit qu'il doit peut-être apprécier, pourquoi m'y aurait-il emmené si ce n'est pas le cas ? Une nouvelle facette de lui se dévoile à moi, comme si le garçon arrogant et plein de haine que j'ai rencontré l'autre jour à la rivière n'ai jamais existé. J'apprécie ce nouveau visage que je découvre ce soir. Je le laisse terminer avant de prendre la parole à mon tour et ce, avec une petite touche d'ironie. "Je veux bien faire un effort pour rester avec toi, si c'est ce que tu veux." Si ce n'est pas le cas, il n'aurait pas perdu son temps à me mener jusqu'ici après tout. Alors oui, l'essence peut très bien attendre un petit moment et je n'ai aucune envie de partir, à ce moment présent. Toujours assise derrière lui et l'air de rien, je viens poser mes deux mains accompagnées de mon menton sur son épaule. "Alors dis-moi, pourquoi avoir kidnappé la fille à papa pour l'emmener ici ?" Un kidnapping qui n'est pas pour me déplaire. Je cherche à capter son regard, un petit sourire au coin des lèvres. Alors O'Neill, pourquoi vouloir faire durer ce moment avec la fille du Northside ? Ce quartier qu'il méprise tant. Dont il méprise ses habitants.

Je veux bien faire un effort pour rester avec toi, si c'est ce que tu veux. Et cette phrase me fait instantanément sourire. Sourire de satisfaction, parce qu'elle accepte de rester. Sourire de gêne, parce qu'elle met le doigt sur quelque chose de profond : oui, je veux qu'elle reste. Oui, je passe un bon moment avec elle. Oui, j'oublie que le temps passe. Oui, je profite simplement du moment présent, sans coucher, sans fumer, sans boire. Et elle met le doigt dessus. Je n'arrive d'ailleurs pas à répondre à cette petite phrase, ne trouvant pas les mots justes pour lui dire les choses sans pour autant me mettre à nu. Elle doit bien se douter que j'ai envie qu'elle reste si on est là, non ? Ce n'est donc pas la peine de le dire clairement. D'autant plus qu'elle enchaine assez vite, après avoir ri à mes présentations fictives, et vient se poser sur mon épaule, me demandant pourquoi je l'ai kidnappé. En reprenant mes mots. Bon... Cette fois-ci, y'a une réelle question, donc je vais devoir lui apporter une réelle réponse. Je tourne légèrement la tête vers elle, sourire au coin des lèvres, lèvres malgré tout assez proches des siennes dans cette position et articule quelques mots. " Pour le prestige d'avoir fait craquer une meuf du Northside... " Le ton de ma voix s'atténue en fin de phrase, comme pour rendre cette fin de phrase sensuelle sur les bords. Alors certes, ce n'est pas la réponse qu'elle attendait, mais ça me permet de gagner du temps. Ca me permet de la chercher un peu aussi par la même occasion... Oui, je t'ai faite craquer, Bevin. Puis, mon visage retrouve son axe premier, perdant des yeux la jeune fille. Position bien plus facile pour moi et pour la suite de mon discours : " Et puis... Peut-être parce que j'me dis que ça vaut le coup de creuser un peu avec toi. J'peux pas être aussi con que les Northsiders qui mettent tous les gars d'chez moi dans le même panier... T'es peut-être différente. " Sincérité bonsoir... A croire que la moto révèle en moi des élans d'honnêteté bien enfouis. Malgré ça, je ne peux m'empêcher de tourner la tête vers elle en fin de phrase, l'index pointant le bout de son nez, comme on le ferait avant de donner une consigne à un enfant : " J'ai dit, peut-être ! " Quel idiot...

Je ne doute pas sur le fait qu'il n'est pas prêt à me laisser partir ce soir. Il ne dit rien comme s'il ignorait cette phrase mais, son sourire le trahit. Je pourrais relever, lui demandais si c'est ce qu'il a vraiment envie. L'entendre me le dire, pourrait être une satisfaction personnelle mais non. Je n'en fais rien et je suis certaine qu'il doit déjà être pas mal gêné que je puisse toucher un petit point sensible. Et rien que ça... C'est plutôt satisfaisant.

Je cherche son regard qui vient s'accrocher au mien lorsqu'il tourne sa tête. Mes yeux se posent sur ses lèvres à quelques centimètres des miennes, lèvres que je n'ai pas oubliées. Je reviens de nouveau me plonger dans ses yeux en évitant de faire rougir mes petites joues. Des yeux captivants. Prétentieux le garçon. Vraiment, il m'a fait craquer ? "Parce que tu penses qu'il faut un simple tour sur ta bécane pour me faire craquer..." Bon, c'est vrai qu'il ne me laisse pas indifférente. Et non, je ne lui ferai pas ce plaisir de le lui dire. "N'oublie pas que je déteste O'Neill." Je lance ça avec le sourire, avec le minimum de crédibilité, dans ce domaine-là, je ne suis pas trop mauvaise à ce qu'il parait. À l'heure d'aujourd'hui, est-ce je peux vraiment dire que le déteste encore ? Probablement pas. Je passe un très bon moment en sa compagnie, est-ce que ça signifie vraiment quelque chose pour la suite ? Je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cette question. Il se replonge dans le paysage, pour continuer ce qu'il a dire. Je reste toujours poster à la même place en l'écoutant. Différente, en insistant bien sur le peut-être. Venant de lui, je peux sûrement le prendre pour un compliment. Ses paroles me font sourire instantanément et cela me touche également qu'il s'ouvre un peu à moi. Si cela se trouve, le peut-être deviendra une certitude... Par réflexe, je cligne des yeux lorsque son index vient effleurer le bout de mon nez. Et je dis à mon tour. "Peut-être que je vais finir par ne plus te détester et vraiment craquer... Peut-être, hein ?"

Cet échange de joutes verbales commence à réellement me plaire. Parce qu'il y a du répondant, parce qu'elle tente de reprendre le dessus. Martyriser quelqu'un, dominer, se sentir prédateur, c'est plaisant, voir même excitant, quand la finalité est simplement de coucher, de faire souffrir, et de lâcher après. Mais quand une sorte d'échange se crée, c'est bien plus intéressant et captivant pour quelque chose de potentiellement plus profond qu'une simple coucherie. Qu'est-ce que j'attends d'elle ? Qu'est-ce que j'espère ? Rien. Je n'attends rien et je n'espère bien pour ne pas être déçu. Mais j'ai aucune envie qu'elle disparaisse à ce moment précis. " La moto n'est qu'un détail... J'avais déjà fait les trois quarts du boulot avant. " Le boulot, c'est la faire craquer. La moto, c'est le détail, c'est la cerise sur le gâteau. Comme pour lui faire comprendre que ce n'est que la dernière carte que j'ai abattu pour la faire succomber à mon charme. Je te plaisais déjà avant Hawkins, je le sais.

Puis, un élan de sincérité vient s'immiscer entre nous, élan de sincérité qui me met mal à l'aise. Je lui dis qu'elle est peut-être différente, insistant sur le peut-être. Elle me dit qu'un jour elle craquera peut-être, insistant sur le peut-être... Et ça me fait quelque chose. Savoir que j'peux réellement faire craquer cette innocente demoiselle qui cligne des yeux quand j'approche ma phalange un peu trop près, et qu'en plus, ça puisse être réciproque... Ca me fait quelque chose. J'avale difficilement ma salive en écoutant ses mots, ne décrochant pas mon regard du sien. Un regard profond, presque torturé. Deux regards profonds en fait... Les seules secondes où je la perds du regard c'est pour laisser divaguer mes pupilles noires sur ses lèvres... " Me regarde pas comme ça, j'vais devoir t'embrasser encore... "Comme si c'était un calvaire. Comme si c'était une contrainte. Sauf que cette fois-ci, je l'ai dit. J'ai posé des mots sur cette envie omniprésente en moi. Mais pas maintenant. J'veux pas que ça se passe maintenant. " Bon, debout ! "Lançais-je avec entrain, coupant net ce moment bien trop tendre pour moi. Sans attendre qu'elle ne descende, je m'extirpe de la moto, me retrouvant les bottes au sol, sur la terre battue. " Viens, j'te montre la salle de projection. Y'a peut-être un film qui te tente. "Manque de subtilité mais beau changement de sujet. Je t'accorde pas un point mais presque, O'Neill. Reste à savoir si Bevin sera du même avis. Ca boude facilement une meuf, il parait.

Sagement appuyée sur son épaule, je me redresse aussitôt. Un détail. La moto n'est qu'un détail. Je reste sans voix, cet élan de confiance en lui et ces paroles m'énervent. Cela m'énerve qu'il puisse penser qu'il pourrait me plaire ou ne serait-ce avoir le béguin ou je ne sais quoi pour lui. Et il en rajoute, en me disant qu'il pourrait une nouvelle fois m'embrasser. Et pour ma part fuir de nouveau. Ah ! Bien, non, justement, je ne peux pas fuir cette fois-ci. Sans grand étonnement, me voilà rougir des joues et ça m'horripile d'autant plus, cette façon qu'il a de me déstabiliser. Je m'en veux à moi-même de cette faiblesse qui s'empare de moi face à lui.

Parce qu'il croit changer de conversation comme on change ses chaussettes. Pas question. Tes films, nous les verrons plus tard même si l'intention est très appréciable au passage. Je descends de la moto en prenant bien soin de ne pas me casser la figure, limitons le ridicule. "Attends une minute... Ça veut dire quoi au juste, j'avais fait déjà fait les trois-quarts du boulot avant ?" Il pense sérieusement que je vais le laisser s'en sortir comme ça, je le trouve vraiment trop sur de lui et ça m'agace. D'ailleurs, je ne lui laisse pas le temps de répondre. "N'importe quoi ! Toi, tu crois sérieusement que moi, je craque pour toi. Ne prends pas tes désirs pour des réalités. Il va falloir que tu redescendes un petit peu là, je te trouve un peu trop confiant." Je débite ces paroles accompagné de grands gestes, le pointant du doigt et me pointant du doigt. Quand je suis plus ou moins nerveuse, j'ai cette mauvaise habitude de parler avec mes mains. Et je continue. "C'est vrai, tu m'as aidé ce soir et je t'en suis vraiment reconnaissante, mais ça ne m'empêche de te détester encore... Un peu." Et concrètement, je me demande qui il est censé convaincre mon discours ? Lui ou moi ?

Ah, tiens, le retour de la partie rebelle du petit bout de femme du Northside. Il commençait presque à me manquer celui-là... Je n'ai jamais menti en disant qu'elle est carrément sexy quand elle s'énerve, encore plus quand elle s'énerve sur moi et donc, même si je suis censé encaisser ses mots, ils me plaisent plus qu'autre chose... T'arriveras pas à me faire perdre bien en t'énervant Hawkins, j'suis maitre dans cette matière. C'est en me touchant, profondément, en me mettant mal à l'aise, que tu me fais perdre pied. Pas quand tu t'énerves. Malgré ça, je bois ses paroles, je ne la lâche pas des yeux et écoute chacun des mots qu'elle a à me dire. Parmi ces fameux mots, certains me marquent. Désirs pour réalité. Redescendre. Trop confiant. Détester encore. Un peu... Le pire, c'est que je crois qu'elle a raison. Je prends mes rêves pour des réalités. Le plus dur à encaisser dans tout ça, c'est justement que mes rêves actuels soient d'obtenir l'affection de la demoiselle. Depuis quand mes ambitions dans la vie sont de plaire à quelqu'un ? Bah... Depuis elle. " J'ai pas envie que tu me détestes. " Lançais-je d'abord, sur un ton direct, sans chercher mes mots. C'est la simple vérité. J'ai pas envie que tu me détestes, Bevin Hawkins. Je joue au con, à l'arrogant, au provocateur, parce que je ne sais faire que ça mais j'ai pas envie que tu me détestes. " J'suis un p'tit con provocateur et arrogant, je joue de mon image de méchant garçon pour attirer le regard, et ça marche. Et ça changera pas. Mais ça n'empêche pas qu'il y ait autre chose aussi et j'pense que tu l'as compris... " Là déjà, le ton s'apaise. Parce que j'suis sincère. Parce qu'elle m'a touché. Parce qu'au fond j'suis qu'un gosse de 17 ans qui s'défend face à la vie avec les armes qu'on lui a mis dans les mains mais qui a encore énormément à apprendre. " Donc soit, toi aussi tu redescends un peu, tu captes ma manière de fonctionner et tu m'laisses te faire rêver avec un film sur le capot d'une bagnole, soit, j'te ramène. Et j'ai pas, non plus, envie de te ramener. " Ah la séduction façon O'Neill... Vous comprenez bien qu'il a encore à apprendre le garçon, non ? Mais au moins, il est direct. Il ne doit pas être facile à apprivoiser, ni évident de lui répondre mais il est comme ça... C'est à prendre ou à laisser, Mademoiselle Hawkins.

M'énerver ou cette façon de ne pas assumer qu'effectivement, il se pourrait bien que cet arrogant provocateur debout devant moi, puisse me plaire. Cette manière de nier quelque chose d'évident, même pour lui ça l'ai. Il le sait que je serai susceptible de succomber à son charme. Il est intrigant, à vouloir creuser un peu plus pour en savoir d'avantage sur qui il est. J'ai envie de me convaincre du contraire, parce que je me connais. Je sais très bien quel genre de fille je suis. Fragile. Naïve. Un garçon me plaît, je m'accroche beaucoup trop vite et cela se termine bien souvent en déception. Et il me reste bien souvent que mes yeux pour pleurer. Alors oui, je m'énerve pour mettre une barrière à une vérité que je n'ai aucunement envie de dévoiler ou simplement pas envie d'assumer. C'est comme ça. Je termine et sa réponse ne se fait pas attendre. J'ai pas envie que tu me détestes. Ce sont ses mots. Lui dire que je le déteste, alors que ces paroles sont totalement erronées. C'est tellement plus facile de le détester, pas vrai ? Sans nul doute, une autre façon de plus pour me voiler la face. Il continue se dévoilant un peu plus à moi, je l'écoute attentivement sans lâcher une seule seconde son regard. Dis moi qui tu es O'Neill, au risque de vouloir en découvrir d'avantage. Au risque de ne plus pouvoir me passer de lui. Y a-t-il vraiment autre chose, comme il le dit ? Je le laisse terminer pour répondre avec une petite bouille boudeuse. "D'accord pour le film, mais..." Quoi ? Il veut me vendre du rêve alors autant en profiter, non ? "...ta manière de fonctionner à de quoi faire péter un câble, j'te le dis !" Et se sont soi-disant les femmes qui sont compliquées, il en tient une sacré couche le jeune homme.

Les choses sont dites et elles semblent avoir été comprises. Elle n'appuie pas là où ça fait mal, elle n'en remet pas une couche sur le fait que je ne veux pas qu'elle me déteste, que je veux lui plaire. C'est dit, compris, et ça nous suffit. Pour le moment en tout cas. Sa mine boudeuse m'extirpe un sourire, sourire qui garde sa place quand elle prononce sa phrase. Elle est d'accord pour le film, ce qui est déjà un très bon point pour moi. Si je lui avais dit lors de notre rencontre à la rivière qu'elle accepterait de voir un film dans ce contexte là avec moi, elle ne m'aurait surement pas cru. Bevin rajoute également que ma manière de fonctionner à de quoi faire péter un câble. Alors certes, en soi ça n'a absolument rien de flatteur mais si on y réfléchit bien... Si je suis en capacité de lui faire péter un câble, c'est bel et bien parce que par un moyen ou un autre, j'ai un effet sur elle, non ? Si elle s'en foutait complètement, ma manière d'agir ne lui ferait ni chaud ni froid. Deuxième bon point, O'Neill. " Tu t'y feras, j'suis sur... Enfin j'espère. " Oui, j'avoue, j'ai rajouté cette deuxième partie de phrase juste pour éviter qu'elle m'accule encore une fois du titre de mec trop sûr de lui. J'espère vraiment qu'elle s'y fera, mais à en juger par son attitude ce soir, je pense qu'elle s'y est déjà faite... Je reprends finalement mon chemin en direction de la cabane, maisonnette, appelez ça comme vous voulez, mais c'est le petit endroit où sont entreposées les bobines de film. Vu l'heure, évidemment il n'y a plus aucune séance prévue. Mais ici, dans le Southside, ce n'est pas un problème. Surtout quand on est né dans le Southside... Tout s'arrange, tout s'achète. Mais avant d'aller déranger le veilleur de nuit dans sa sieste - en espérant qu'il ne fasse qu'une sieste -, des questions s'imposent, à quelques pas de la porte : " Une préfère pour le film ? J'connais pas trop les goûts des princesses... " Une petite taquinerie ne fait jamais de mal... Ca faisait presque longtemps ! " Plutôt nouveauté ou film classique ? Y'en a un qui m'ferait marquer plus de points que les autres ? " Mon envie de lui faire plaisir, de marquer des points, rattrapera sûrement ma petite provocation d'avant. J'espère. Encore une fois.

Je m'y ferai... Peut-être ? Surement même. J'accepte déjà de passer une bonne partie de cette soirée avec lui, c'est que je commence à m'y faire un petit peu. C'est un bon début, j'ai envie de dire et ça ne peut qu'aller en s'arrangeant après tout. Du moins, je l'espère aussi... Tout comme lui. Je lui emboîte le pas en effaçant la petite mine boudeuse que j'affichais quelques secondes plutôt. Tu as de la chance, je ne rechigne jamais bien longtemps. Et nous arrivons tous les deux près d'une petite cabane, certainement la salle de projection dont il a fait référence. Je fronce doucement les sourcils lorsqu'il évoque mes supposés goûts de princesses. Il va falloir que je m'y habitue à ces petites réflexions, certes pas méchantes, mais réflexions tout de même. Je me contente simplement de jouer de mon regard pour réagir. Pour le moment, je ne dis rien et je le laisse continuer dans ses paroles. Tu veux marquer des points ? C'est presque mignon, mais je ne vais pas lui donner toutes les cartes en main non plus. Trop facile, attends ! "C'est bien toi qui veux me faire rêver, non ?" Sur le capot d'une voiture, c'est bien ce qu'il m'a vendu le garçon et je rajoute tout de suite après. "Oh ! Et choisis le bien... Les princesses sont vraiment très exigeantes, tu sais..." Petite phrase qui a pour simple but de répondre à sa petite taquinerie. En réalité, je ne le suis presque pas, mise à part avec moi-même. Je ne suis pas vraiment une fille compliquée, j'ai tendance à m'intéresser à tout. Il n'a donc presque pas de soucis à se faire de ce côté-là, le film qu'il choisira me plaira sans nul doute, et même si ce n'est pas le cas, je ferai tout comme. Je ne suis pas contrariante comme fille, enfin du moins pour ce genre de chose. "Et tu vas te débrouiller comment ? C'est fermé non ?" Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est en ce moment-même, mais je suppose que cela ne doit pas être les heures d'ouverture. Je demande alors, de quelle manière nous allons pouvoir mater ce film.

La voilà maintenant qu'elle rentre réellement dans le jeu, et tente même de me mettre à l'épreuve avec le choix du film. J'adore. J'adore la voir jouer. J'adore la voir s'impliquer. J'adore voir qu'elle n'est pas là juste parce que je lui ai forcé la main et qu'elle n'ose pas dire non. Elle a envie d'être là, envie de me découvrir autant que je veux le faire avec elle et je ne vais clairement pas m'en plaindre. " Je relève le défi sans aucune crainte ! " Trop confiant ? Pour le coup, oui. Je reste dans mon rôle mais j'avoue qu'à cet instant présent, dans mon cerveau ça bouillonne. Qu'est-ce que je choisis ? Un de mes classiques ? On va quand même pas finir avec un Fight Club... Un truc à l'eau de rose en imaginant que c'est ce qu'elle aime ? Non non non, je ne me ferai pas Titanic ce soir. Bon... Réfléchis, réfléchis, p'tite tête de blond cachée sous du brun... Ca y est, je sais. J'ai LE film. Le bon film. Du moins, celui que j'imagine être le bon. Et puis sa question me sort de mes pensées. " A la manière du Southside. Fais moi confiance. " Tout s'achète ici. Tout se gagne. Tout se troque. On doit tous quelque chose à quelqu'un avec comme règle d'honneur de payer ses dettes. Qui ne tient pas ses dettes est très vite connu ici et on ne donne pas cher de sa peau. " Tu m'attends ici deux minutes ? Tu t'enfuies pas hein ! " Comme si elle pouvait s'enfuir... Où irait-elle, seule, au fin fond du Southside, à pied ? Je sais très bien qu'elle va rester là, mais par principe, je lui dis de pas bouger. Et j'entre dans la petite cabane.

Le regard surpris, noir, de Maddox, le veilleur du soir, me tombe immédiatement dessus, main dans la veste. Je sais aussi bien que lui ce qu'il se trouve dans sa veste. " Hé, détente bouledogue, c'est juste moi ! " Lançais-je d'abord, évitant de prendre un coup de je ne sais quoi entre les deux yeux. Je passe une main dans ma poche, en sort un billet de vingt dollars et le pose sur la table devant le veilleur, en continuant mon charabia. " Tu me mets un film ? Je sais que c'est pas assez, mais t'inquiète je t'en dois une. J'ai rien sur moi là mais quand t'as besoin, tu me dis. " De quoi on parle ? De drogue. Il le sait, je le sais, mais elle, derrière la porte, elle ne le sait pas et c'est bien pour ça, qu'elle est derrière la porte. " Time out. " Time out ? Un film d'action avec Justin Timberlake et Amanda Seyfried, l'histoire d'une fille de riche qui s'amourache d'un voyou des bas quartiers et de l'adrénaline de sa vie. Coïncidence ? Je ne crois pas. J'suis plus malin que j'en ai l'air... " Merci mec. " Je ressors de la baraque et tombe sur la jeune fille, qui n'a pas réellement bougé. Elle est mignonne quand même. Et innocente. Si elle savait... " J't'ai pas trop fait attendre, ça va ? "

Spoiler:

"Hâte de voir ça..." Il me tarde de savoir quel est le film qu'il va choisir. Même si ce n'est qu'un film, on peut en découvrir bien plus qu'on n'y croit sur une personne. Il semble plutôt en confiance pour le choix qu'il va faire et ce n'est pas quelque chose qui m'étonne, vas t-il me surprendre le garçon ? Oui, j'ai vraiment envie qu'il me surprenne, d'en savoir encore plus à son sujet. De découvrir qu'il y a derrière cette apparence de mauvais garçon qu'il se donne. Je suis certaine que sous cette carapace, il se cache une bonne personne. C'est mon instinct qui me le témoigne. Bon, j'avoue que je ne devrais pas trop m'en fier, car il me fait souvent défaut. À chaque fois que j'ai voulu suivre mon instinct, cela s'est très souvent terminé en catastrophe. Mais, j'ai envie de prendre le risque en espérant ne pas me tromper. Je n'ai vraiment pas envie de me tromper cette fois-ci.

Et c'est quoi la manière du Southside ? Une question que je garderai pour moi, je n'en demanderai pas plus à ce sujet. S'il aurait voulu me le dire, il l'aurait fait plus clairement non ? Je ne relève pas et me contente simplement de sourire en acquiesçant lorsqu'il me demande de l'attendre. De ce côté-là, il peut être sûr que je ne vais pas partir en courant dans les rues du Southside. Un petit rire m'échappe lorsqu'il parle de fuir, ce n'est pas comme si je suis le genre de personne à fuir à la première occasion qui se présente. Heu... Mise à part peut-être lorsqu'un garçon m'embrasse dans un placard à balais, mais ceci n'est pas vraiment le sujet du jour. "Je ne bouge pas d'ici, je vais être sage." Ne mets pas trop longtemps quand même. Rester toute seule même quelques minutes, et même en sachant qu'il n'est pas loin, ça me rend nerveuse. La mésaventure de toute à l'heure refait quelque peu surface, je n'ai aucune envie de me retrouver à faire face à un nouveau taré. Des minutes qui paraissent des heures pour moi, les yeux qui vont de droite à gauche. Méfiante au moindre petit bruit qui se fait entendre. Je reste plantée à la même place comme un piquet, jusqu'à qu'il ressorte enfin. Le soulagement. "Non non ça va..." Menteuse la petite fille du Northside. J'ai carrément flippé toute seule, mais je vais éviter de le lui dire. "Qu'as-tu choisi ?" Impatiente. Curieuse aussi la petite fille du Northide.

Quand je rentre dans ma petite cabane en bois pour faire mes affaires, je sais pertinemment que je ne laisse pas une fille rassurée dehors. Mais en même temps, je sais qu'elle ne craint rien, ici, à cette heure-ci. Normalement. Les vrais fauteurs de troubles arrivent plus tard. Là, on est juste entre deux, entre l'heure des gens qui viennent voir leur film, et l'heure où les mecs pas nets viennent trainer. On devrait être tranquille pour quelques temps. Malgré tout, je ne traine pas trop, voulant profiter de jouer les héros qui rassurent la demoiselle en détresse. Si elle attend trop, elle va passer du stade de la fille en stress à la fille énervée, et je pourrais plus jouer les héros... J'suis pas si bête que j'en ai l'air, n'est-ce pas ?

" Time Out. Un monde où la monnaie de tout échange n'est plus l'argent mais le temps. A partir de 25 ans ils ne vieillissent plus, et leur seule chance de survie est de gagner du temps. " Je lui raconte l'autre facette de l'histoire, bien sur. La facette principale. Ce qu'on raconte dans le synopsis. Le fait que la p'tite bourge pleine de temps, s'accroche au voyou qui vient avec quelques minutes de rab tous les jours, elle s'en rendra compte toute seule, et fera - ou non - le rapprochement avec nous. Pendant mes explications, j'ai repris ma marche en direction de l'endroit où j'ai prévu de passer les prochaines minutes. Un pick-up. Le fameux pick-up du Drive In. Le pick-up abandonné, mais tenu en bon état pour y voir des films assis à l'arrière, justement. " Emplacement VIP ce soir, mademoiselle ! Le pick-up de luxe, aux premières loges, juste pour nous. " VIP, qui n'est surement pas VIP pour la p'tite du Northside mais le but est de lui montrer comment on vit les soirées chez moi, pas de lui vendre le rêve ennuyeux qu'elle connaît par cœur chez elle. " Après toi... " Je ne vais quand même pas monter une deuxième fois avant elle - comme sur la moto - et prendre un vent en lui proposant mon aide. Autant la regarder se débrouiller, d'en bas.

Une fois près de moi, le stress redescend très rapidement. J'attends impatiemment de savoir le film qu'il a choisi, ce qu'il fait aussitôt la question posée. Je hausse légèrement les épaules. "Parfait ! Tant que ce n'est pas un de ces films d'horreur, ça me va." J'ai horreur de ça, tout simplement parce que ça me fait psychoter une fois seule dans ma chambre dans l'obscurité. Et puis de manière générale, il est très rare de me voir devant un écran de télévision ou d'aller au cinéma, plus souvent le nez dans mes bouquins ou à mes cours de danse, mon vrai univers. Je lui emboîte de nouveau le pas aussitôt qu'il se met à marcher en direction d'un vieux Pick-Up. Pas n'importe quel Pick-Up selon lui, ça me fait sourire lorsqu'il en parle. Ca à l'air d'être un endroit qu'il apprécie beaucoup et ça me fait quelque chose qu'il me le fasse découvrir. Il faut bien le dire, ce n'est pas le genre de bolide dans lequel j'ai l'habitude de monter. Ma famille a un très bon compte en banque ce n'est un secret pour personne et mon père n'a jamais caché son goût du luxe et notamment dans les belles voitures. Ma mère, c'est différent, elle n'a pas toujours vécu dans ce milieu-là. Elle est toujours restée humble, d'une très grande modestie. Pour ma part, j'apprécie le concept de regarder un film à l'arrière de cette voiture atypique. Je trouve ça très sympa. "Place VIP rien que pour nous... On en a de la chance, il faudra m'expliquer cette manière du Southside." Je ne peux m'empêcher de demander à quoi consiste cette manière d'obtenir ce qu'il veut. Je n'ai pas relevé tout à l'heure et je le fais maintenant, oui. Trop curieuse, je sais. Il me laisse donc monter la première à l'arrière du Pick-Up. En galérant un peu... Même beaucoup en réalité, je regarde Arthur du coin de l'œil. "On ne se moque pas !" Je préfère prévenir, juste au cas où. J'arrive tout de même à me hisser, malgré ma petite taille à l'arrière. Et ce, sans me casser la figure. Exploit pour la maladroite que je suis.

" J'me suis dit que même un film d'horreur ne serait pas suffisant pour que tu te blottisses dans mes bras donc... Aucun intérêt. " Ces mots sortent de ma bouche alors que je commence à marcher, je ne défie pas son regard quand je dis ça, je préfère l'éviter. Même si au fond, j'aurai beaucoup aimé voir le désarroi sur son visage en entendant ça.  J'aurai surement d'autres occasions de voir cette expression sur son joli minois si la nuit continue sur la même lancée. Nous finissons par arriver au pick-up, pick-up que je vends comme la 8ème merveille du monde. J'en ai tellement vécu ici, au Drive-In, et dans ce pick-up, que c'est presque le cas. Mais ce sont cette fois-ci ses mots à elle qui me sortent de mon état nostalgique. Que je lui explique quelle est la manière du Southside... Elle n'est pas si bête la bourge. Mais je n'ai pas envie de lui expliquer. Pas maintenant. Du moins, pas tout. Oui, je vais lui expliquer comment se font les affaires ici, mais je vais omettre le détail qu'en cas de dettes, ça se règle par dons de drogue que je vends normalement. Pour le moment, j'hoche simplement positivement de la tête, la laissant grimper sur l'engin. Du moins, essayer de grimper... J'avoue, ça me fait sourire en coin. J'avoue, elle m'amuse. J'avoue, si je m'écoutais, je lui donnerai un petit coup de main en poussant avec ces mêmes mains sur ses fesses... Mais bon... Pour le bien du reste de notre soirée, je vais la laisser faire, n'est-ce pas ? " Me moquer ?! Jamais, c'est pas mon style ! " Evidemment que c'est mon style et le petit air ironique qui vient ponctuer ma phrase en témoigne. En quelques secondes, je la rejoins, mettant mon pied à un endroit stratégique de la carrosserie et enjambant le reste par la suite. Je montais dans ce pick-up avant d'avoir la taille requise pour dépasser le pare-choc... C'est réellement un jeu d'enfant pour moi. Et je m'assois sur les rebords de l'arrière du pick-up, ne voulant pas rester debout, mais en même temps, ne voulant pas directement m'asseoir au sol pour donner les explications que j'ai à donner. Gardons un minimum de crédibilité. " Dans le Southside, surtout quand on y est né, tout s'achète, tout s'obtient.. Tout se troque en fait. Tu peux pas vivre dans le Southside et ne pas avoir de dettes envers quelqu'un. Y'a forcément quelqu'un qui t'a rendu service à un moment, dans le seul but que tu lui en rendes un à ton tour quand il en aura besoin. Ca passe par des services, par de l'argent, par des infos, par tout plein de choses dont les gens ont besoin. " J'oscille mon regard entre elle et le décor, entre ses yeux captivants et l'écran qui est toujours blanc pour le moment. Entre ses pupilles qui me fixent et ce terrain lugubre. " L'gars là-bas, il m'en devait une. Avec un billet en plus dans la poche, il a accepté. Maintenant c'est moi qui lui en dois une. " Ca lui va comme réponse ? C'est honnête, détaillé, sérieux, et ça satisfera, j'espère, sa curiosité.